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tait, je me disais : « À la fabrique, elle peut gagner trente sous sans trop de peine ; les couleurs lui reviendront aux joues. » Il y avait une place chez M. Daubré, à l’atelier des préparations, comme soigneuse de carderie, un métier propre et sain. Et puis elle était si fière ! Qui aurait pu se douter jamais que ce Lomas aurait raison de cette vertu-là !

— Et tu es sûr que c’est lui qui a fait partir Geneviève ?

— Je n’ai pas de preuves, malheureusement ; mais j’en suis sûr, oui, sûr.

— Au moins il ne la laissera pas mourir de faim. Pauvre petite, que fait-elle là-bas ? Ah ! si seulement je savais son adresse ! j’irais, vois-tu, et je la ramènerais. Car je ne dors plus, je ne mange plus, je n’ai de cœur à rien. Une enfant qui ne nous avait jamais quittés ! Gendoux, si elle ne revient pas, je crois que j’en mourrai. »

En cet instant, la trappe se souleva.

« Ce sont eux ! s’écria Thérèse avec effroi.

— Non, c’est la Bourgeat et son petit, » dit Gendoux.

En effet, c’était leur locataire. Ses enfants la regardèrent entrer avec cet air morne et hébété, cette immobilité torpide que donne l’appauvrissement excessif de la constitution.

Cette femme avait le type des ouvrières lilloises : blondes, maigres, au teint hâve. Elle était encore jeune, mais des rides nombreuses annonçaient une vieillesse hâtée par le travail et les privations. Ses vêtements ou plutôt ses haillons étaient malpropres, et recouverts, aussi bien que ses cheveux, de fragments d’étoupes ; car elle était employée à l’atelier d’épluchage d’une filature de lin.

Elle vivait donc tout le jour les pieds dans l’eau, au milieu d’une poussière épaisse et malsaine, dans une