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Mme Daubré, nous n’habituerons nos Françaises à ces idées d’indépendance. Elles n’ont que faire de la liberté. Ce sont des autocrates qui veulent régner à tout prix. Ravissantes hypocrites, elles acceptent leur esclavage afin de mieux assurer leur empire.

— Je suis de votre avis, reprit Mme Daubré en minaudant : je trouve que nos bas-bleus sont injustes. Les hommes ne sont pas si ogres que certaines femmes, vieilles et laides, veulent bien nous les représenter. Et quand on sait les prendre…

— Pardon, madame, si je vous interromps, dit Mlle Bathilde. Quand on sait les prendre, dites-vous ? Par ces mots seuls ne reconnaissez-vous pas une dépendance ? Vous parlez pour la petite exception des femmes, jeunes et jolies, qui sont au-dessus du besoin, et qui ont le temps d’être coquettes. Moi, je parle pour le grand nombre : je parle de l’ouvrière, de celle qui n’a que ses yeux et ses doigts pour toute fortune, et qui se demande souvent, le soir, comment ses enfants mangeront le lendemain. Sans doute, madame, vous n’avez jamais pénétré dans ces bouges immondes où habitent la misère et le vice ; vous y auriez rencontré souvent, bien souvent, hélas ! des femmes battues par leurs maris ivrognes, privées de tout jusqu’à leur propre gain, par celui-là même qui devrait pourvoir à leur existence ; vous les auriez vues désespérées en face de leurs enfants pleurant de faim. Toutefois, sont-ce les hommes qu’il faut condamner ? non, ce sont les causes mêmes du mal. Vous dites que c’est à l’homme de travailler pour la femme ; mais d’abord savez-vous ce que c’est que travailler du matin au soir à une besogne souvent répugnante ? Vous faites-vous une idée de la souffrance morale et