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jeu de mes facultés morales se réduisait à une impression de gêne. J’avais la conscience que mon âme, étonnée par une modification quelconque de mon corps, manquait de l’usage familier de ses organes et de ses sensations.

On était au dessert, le pharmacien venait de lire à haute voix le dernier article du Fanal de l’avenir, on avait agité la question des conseillers municipaux et fait un peu de musique, le serpent à sonnettes avait récité une fable. Enfin, on s’était beaucoup amusé.

Après une scène de famille ridicule, où le pharmacien déplorait en vers alexandrins la mort de sa tante, victime de son zèle à soigner le choléra gravement malade, quelques personnes prirent congé. Le pharmacien, s’avançant alors sur le devant de la scène, c’est-à-dire, pour moi, sur la porte qui donnait accès de la salle à manger dans la pharmacie, ôta tranquillement sa calotte, et parut avec un crâne peint en bleu, sur lequel des maximes d’Hippocrate étaient écrites en lettres d’or. En même temps, il s’écriait : « Messieurs, je suis pharmacien et jamais je ne renierai la pharmacie, j’en jure par les pièces anatomiques que vous voyez dans ce bocal. »

J’entendis autour de moi des rires étouffés, mais je me penchai vainement dans tous les sens pour voir des pièces anatomiques et le bocal. Mes gestes, à ce propos, me parurent insolites. Je croyais sentir