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Fragment d’histoire future

C’est vers la fin du xxve siècle de l’ère préhistorique jadis appelée chrétienne, qu’eut lieu, comme on sait, la catastrophe inattendue d’où procèdent les temps nouveaux, l’heureux désastre qui a forcé le fleuve débordé de la civilisation à s’engloutir pour le bien de l’homme. J’ai à raconter brièvement ce grand naufrage et ce sauvetage inespéré si rapidement accompli en quelques siècles d’efforts héroïques et triomphants. Bien entendu, je passerai sous silence les faits particuliers qui sont connus de tous et ne m’attacherai qu’aux grandes lignes de cette histoire. Mais auparavant il convient de rappeler en peu de mots le degré de progrès relatif auquel l’humanité était déjà parvenue, dans sa période extérieure et superficielle, à la veille de ce grave événement.

I

LA PROSPÉRITÉ


L’apogée de la prospérité humaine, dans le sens superficiel et frivole du mot, semblait atteint. Depuis 50 ans, l’établissement définitif de la grande fédération asiatico-américano-européenne et sa domination incontestée sur ce qui restait encore, çà et là, en Océanie ou dans l’Afrique centrale, de barbarie inassimilable, avait habitué tous