« Le diable rouge ne va pas tarder à revenir, dit le Canadien, car personne ne bouge en face de nous ; et, au fait, ce n’est que par la plaine, et non du haut de ces rochers, qu’ils peuvent monter jusqu’ici. »
Prêt à faire, feu sur le premier qui se hasarderait à franchir l’espace entre la chaîne de rochers et le pied de la pyramide, le rifle de Bois-Rosé restait immobile, la bouche dirigée vers le buisson que la brise n’agitait même plus.
« Ah ! dit le Canadien, le coquin revient à la charge, encouragé par l’impunité. Mais, de par tous les diables ! je n’ai jamais vu un Indien se comporter de la sorte. C’est quelque désespéré des Prairies qui aura fait vœu de se faire briser le crâne à la première occasion. »
La conduite de l’Indien semblait, en effet, justifier la supposition qu’il était un de ceux qui, parmi les hommes de sa race, accomplissent encore aujourd’hui des vœux extravagants, semblables à ceux que faisaient jadis nos ancêtres gaulois, aussi sauvages que les Indiens d’Amérique.
D’un bond, le guerrier rouge s’était élancé des rochers jusqu’à l’enceinte de cotonniers et de saules du val d’Or, et là, quoique caché derrière cet abri impénétrable de branches et de verdure, sa tête le dépassait tout entière, et ses yeux brillaient d’un feu que la certitude de la mort ne pouvait éteindre. Il fixait la carabine de Bois-Rosé, qui sortait lentement de la fente des pierres, comme s’il eût voulu fasciner le tireur.
« Il l’aura voulu, » dit Bois-Rosé, obligé par la position de l’Indien de faire feu de haut en bas, et d’allonger le canon de son rifle qui dépassa le rocher d’un demi-pied.
Trois explosions et deux cris de douleur résonnèrent presque en même temps. La première détonation était celle de l’arme du coureur des bois ; le premier cri, l’agonie de l’Indien qui poussait par bravade son hurlement de mort.