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la forêt, les domestiques avaient dressé le lit de camp du sénateur et de l’Espagnol ; et, tandis qu’ils s’occupaient à faire rôtir la moitié d’un mouton pour le repas du soir, une outre remplie de vin rafraîchissait dans une des auges de l’abreuvoir.

Après une journée de marche pénible, c’était un spectacle fort attrayant que celui présenté par cette halte de nuit aux bords de la Poza.

Tiburcio et ses deux compagnons venaient d’y arriver.

« Voilà votre halte, mon cher Tiburcio, dit Cuchillo d’un ton affectueux, pour mieux déguiser ses sentiments de rancune et ses projets sinistres ; mettez pied à terre, pendant que je vais aller prévenir le chef de notre arrivée. Voici don Estévan de Arechiza, celui sous les ordres de qui vous vous enrôlerez si le cœur vous en dit ; et, entre nous, c’est ce que vous pourrez faire de mieux. »

Cuchillo ne voulait pas que sa victime pût maintenant lui échapper, et il tenait plus que jamais à voir le jeune homme se joindre à l’expédition. Il montra du doigt le sénateur et don Estévan, assis sur leur lit de camp et vivement éclairés par la flamme du foyer, tandis que Tiburcio était encore invisible pour eux. Quant à lui, il s’avança vers don Estévan.

« Je désirerais, dit-il à l’Espagnol, vous dire deux mots en particulier, avec la permission du seigneur sénateur. »

Don Estévan fit signe à Cuchillo de l’accompagner dans l’allée sombre que formait la route au milieu de la forêt.

« Vous ne devineriez pas, seigneur don Estévan, quel est l’homme qu’a sauvé votre générosité ; car je le ramène sain et sauf, comme vous le voyez. »

L’Espagnol mit la main à sa poche et donna la pièce d’or promise.

« C’est le jeune Tiburcio Arellanos qui vous doit la vie ; pour moi, je n’ai écouté que mon bon cœur ; mais peut-être avons-nous fait tous deux une sotte affaire.

— Pourquoi cela ? dit don Estévan ; ce jeune homme