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— Dites, s’écria Cuchillo ; pendant que nous y sommes, que fait, entre ami, une question de plus ou de moins ?

— Qui vous a vendu ce cheval il y a six semaines ?

— Son maître, parbleu ! dit l’aventurier pour gagner du temps, un… inconnu… qui revenait d’un long voyage.

— Un inconnu ! répéta Tiburcio ; pardon encore une fois.

— Vous l’aurait-on volé, par hasard ? reprit Cuchillo d’un ton ironique.

— Non ; mais ne pensons plus à mes folies.

— Je vous les pardonne, dit Cuchillo d’un air magnanime ; aussi vrai, ajouta-t-il mentalement que tu n’iras pas plus loin, fils de chien. »

Tiburcio n’était plus sur la défensive, et le bandit profita de l’obscurité pour déboucler sournoisement les courroies de sa carabine. Il allait sans doute mettre exécution sa vengeance, lorsqu’un cavalier, tirant après lui un cheval sellé et bridé, arriva au galop du côté opposé de la route.

« Est-ce vous, seigneur Cuchillo ? cria le cavalier.

— Au diable !… dit Cuchillo. Ah ! c’est vous, Benito ?

— Oui. Eh bien ! avez-vous sauvé l’homme ? Le seigneur don Estévan m’envoie à tout hasard avec une gourde d’eau fraîche et un cheval pour lui.

— Il est là, répliqua Cuchillo, grâce à moi, il est sain et sauf… jusqu’au moment où je me retrouverai face à face avec lui, ajouta-t-il tout bas.

— Eh bien ! regagnons la couchée, » dit le domestique.

Tiburcio se mit en selle, et tous trois galopèrent silencieusement vers l’endroit où la cavalerie avait fait halte : le domestique, sans penser à autre chose qu’à s’y rendre le plus vite possible comme un homme fatigué d’une journée laborieuse ; Cuchillo, en maudissant le fâcheux dont la présence lui faisait ajourner sa vengeance ; et Tiburcio, en faisant de vains efforts pour écarter les soupçons qu’une coïncidence singulière éveillait dans son esprit à l’égard