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Telle fut la pensée de Cuchillo, qui, désormais débarrassé de souci de ce côté, se mit à siffler indifféremment en poussant son cheval. La meilleure harmonie semblait donc régner entre deux hommes qui tous deux avaient l’un contre l’autre un motif de haine mortelle, mais encore ignoré, quand tout à coup le cheval qui les portait broncha de la jambe gauche et manqua de s’abattre. Tiburcio s’élança à terre, l’œil enflammé, et s’écria d’une voix menaçante :

« Vous n’avez jamais dépassé Tubac, dites-vous ? depuis quand ce cheval est-il à vous, Cuchillo ?

— Que vous importe ? dit l’aventurier, surpris d’une question à laquelle sa conscience donnait une signification alarmante, et que peut avoir à faire mon cheval avec la question que vous m’adressez si discourtoisement ?

— Par l’âme d’Arellanos, je veux le savoir, ou sinon… »

Cuchillo donna un coup d’éperon à son cheval, qui sauta de côté, et, au moment où il portait la main aux courroies de sa carabine, Tiburcio se rapprocha vivement de lui, étreignit sa main avec vigueur dans la sienne, et répéta sa question :

« Depuis quand ce cheval est-il à vous ?

— Là ! là ! quelle curiosité ! répondit Cuchillo avec un rire forcé. Eh bien ? puisque vous tenez tant à le savoir, j’en ai fait l’acquisition… il y a six semaines. Me l’avez-vous déjà vu, par hasard ? »

En effet, c’était la première fois que Tiburcio voyait Cuchillo sur ce cheval, qui, malgré ce défaut de broncher parfois, était plein d’excellentes qualités, et que son maître ne montait que dans les grandes occasions. Le mensonge du cavalier dissipait sans doute quelques soupçons dans l’âme de Tiburcio à l’égard du cheval, car le jeune homme cessa d’étreindre la main du bandit.

« Pardon, dit-il, de cette violence, mais permettez-moi une question encore.