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d’enrôler le jeune homme sous les ordres de don Estévan, comme un partisan dont on connaît la valeur.

« Eh bien ! pensa-t-il, si mes intérêts m’ordonnent de lui reprendre plus tard cette vie, qui peut m’être utile à présent et que je lui accorde, alors il ne me devra plus rien… Mais non, parbleu ! nous serons quittes. »

Cuchillo ne vantait pas en vain, comme on le voit, la susceptibilité de sa conscience, et, grâce à la force de cet argument, il résolut de ne plus laisser mourir celui que son intervention pouvait sauver, et dont en outre la vie lui était payée.

Comme j’ai bien fait de conserver de l’eau dans mon outre ! » pensa Cuchillo.

Il entr’ouvrit la bouche du moribond et y versa quelques gouttes avec précaution. Ce secours parut ranimer Tiburcio, qui ouvrit les yeux et les referma presque aussitôt.

« Cela signifie qu’il en veut encore, » reprit le compatissant Cuchillo.

Il recommença deux fois la même opération, en redoublant chaque fois la dose.

Tiburcio poussa un soupir.

Cuchillo se pencha sur le jeune homme qui semblait recouvrer la vie petit à petit, et le considéra en paraissant réfléchir profondément.

Enfin, une demi-heure s’était à peine écoulée que Tiburcio fut ranimé et en état de répondre aux questions de celui qui se nommait emphatiquement son sauveur.

Tiburcio était bien jeune ; mais la vie solitaire qu’il avait menée mûrit et développe promptement le jugement. Ce fut avec des restrictions prudentes qu’il raconta la mort de sa mère adoptive, que Cuchillo connaissait déjà.

« Depuis vingt-quatre heures que j’avais passées à son lit d’agonie, ajouta-t-il, j’avais oublié complètement mon cheval. Je fermai la cabane où je ne voulais plus revenir, et je me mis en route en ressentant les premières atteintes de la fièvre et sans faire boire le pauvre animal. Aussi les