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Cuchillo, ou pour mieux dire, Fabian de Mediana, qui se trouvait sous ses yeux.

« Je ne me trompe pas ! c’est bien lui. Ma foi ! s’il n’est pas mort, il n’en vaut guère mieux, » reprit à part soi l’aventurier, frappé de la pâleur mortelle qui couvrait le visage du jeune homme.

Une idée infernale traversa son esprit. Celui qui peut-être partageait avec lui le secret qu’il avait acheté par un crime, se trouvait livré entre ses mains, au fond d’un désert où nul ne pouvait le voir. Cuchillo n’avait qu’à l’achever, s’il n’était pas mort, et à dire qu’il n’avait pu le sauver. Qui pourrait prouver le contraire ? Alors ne devait-il pas mettre son secret à l’abri de toute éventualité ?

Tous les instincts de férocité du misérable s’étaient réveillés ? Cuchillo tira son couteau et mit machinalement la main sur le cœur de Tiburcio. Un faible mouvement y dénotait encore la vie. Le bandit levait les bras ; mais il s’arrêta.

« C’est ainsi, pensa-t-il, que j’ai frappé celui que ce jeune homme appelait son père… Je l’ai égorgé au moment où il se reposait près de moi sans crainte, sans défiance. Je le vois là, me disputant les restes d’une vie à moitié éteinte. Je sens encore sur mes épaules le poids de son cadavre quand je l’ai jeté à la rivière. »

Et le bandit, au milieu de l’obscurité et du silence imposant du désert, jeta autour de lui un regard presque craintif. Le souvenir d’Arellanos sauva la vie de Tiburcio. Cuchillo, morne et pensif, s’assit auprès du jeune homme toujours immobile, et machinalement encore sa main fît rentrer le poignard dans sa gaine. Puis une voix s’éleva dans son âme et parla plus haut que sa conscience : c’était celle de l’intérêt personnel.

Connaissant les rares qualités de Tiburcio, ses talents de rastreador, son audace parfois téméraire, Cuchillo crut devoir ajourner les sinistres desseins qu’il avait formés, et, quitte à le surveiller attentivement, il résolut