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« Benito, dit l’Espagnol à l’un de ses domestiques, écartez du bout de votre lance le chapeau qui couvre la figure de cet homme ; peut-être n’est-il qu’endormi. »

Le domestique exécuta l’ordre de son maître, et enleva le chapeau sans mettre pied à terre ; mais l’homme couché ne fit aucun mouvement. Quant à sa figure, il était impossible de la distinguer : l’obscurité croissait trop rapidement, comme d’habitude sous les tropiques. Don Estévan s’adressant à Cuchillo :

« Quoique ce ne soit pas votre spécialité, dit-il, si vous voulez faire acte d’humanité en essayant de faire revenir ce pauvre diable à la vie, il y aura pour vous une demi-once d’or au cas où vous le sauverez.

— Caspita ! seigneur don Estévan, vous vous méprenez sur mon caractère ; je suis le plus humain des hommes quand… j’ai intérêt à l’être. Allez ! j’aurai bien du malheur si je ne vous amène pas ce soir ce gaillard-là à notre couchée à la Poza. »

En disant ces mots, Cuchillo mit pied à terre, et, passant la main sur le cou de son cheval :

« Tout beau ! Tordillo, dit-il, attendez ici et ne bougez pas. »

Le cheval, tout en grattant la terre du pied et en rongeant son frein, obéit à la voix de son maître.

« Faut-il laisser un de nos gens avec vous ? » demanda le sénateur.

Cuchillo n’eut garde d’accepter un aide qui eût pu revendiquer une partie de la récompense promise ; la cavalcade s’éloigna, et il resta seul. Alors il s’approcha de l’homme couché et se pencha sur lui pour juger, à l’inspection de ses traits, s’il y avait encore quelque espoir de le sauver.

À la vue de la figure du moribond, le bandit tressaillit.

« Ah ! s’écria-t-il, Tiburcio Arellanos ! »

C’était en effet le fils adoptif du gambusino victime de