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— En partie, reprit l’Espagnol ; mais j’ai un autre but relatif à ce dont je vous entretiendrai plus tard.

— Vous êtes un mystère pour moi des pieds à la tête, répondit le sénateur ; mais je m’abandonne en aveugle à votre étoile.

— Et vous ferez bien ; il ne tiendra peut-être qu’à vous que la vôtre, un instant éclipsée, ne reprenne toute sa splendeur. »

Le soleil était à son déclin ; les voyageurs n’étaient plus qu’à deux lieues de la Poza, quand ils laissèrent derrière eux les plaines désertes que nous avons décrites. Quelques gommiers se montraient au milieu des sables qui succédaient aux terrains calcaires ; les objets commençaient à devenir moins visibles dans l’ombre que le crépuscule étendait petit à petit sur la campagne.

Tout à coup la monture de don Estévan s’arrêta en dressant les oreilles, comme font les chevaux à l’aspect d’un objet qui les effraye. Le cheval du sénateur imita celui de l’Espagnol ; mais l’Espagnol ni le sénateur ne voyaient rien.

« C’est le cadavre de quelque mule morte, » dit le Mexicain.

Les cavaliers donnèrent de l’éperon à leurs montures et les firent avancer malgré leur répugnance. Alors ils aperçurent derrière un massif d’aloès le corps d’un cheval étendu sur le sable. Une rencontre semblable est fort ordinaire dans un pays aride, où l’eau ne se trouve qu’à de fort longues distances dans la saison sèche, et les voyageurs n’y eussent fait nulle attention si le cheval n’eût pas été sellé et bridé. Cette circonstance indiquait dès lors quelque événement extraordinaire.

Cuchillo avait rejoint les deux voyageurs arrêtés devant l’animal mort.

« Ah ! dit-il en le considérant attentivement, le pauvre diable qui le montait a dû se trouver dans un double embarras, en perdant à la fois son cheval et l’eau de son outre. »