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Cependant la fraîcheur de la forêt que traversait la cavalcade fit paraître supportable la première heure de route ; mais bientôt elle déboucha, à l’issue du bois, dans de vastes plaines qui paraissaient interminables.

Rien de triste comme ces terrains nus et blancs, sur lesquels toute végétation meurt faute de suc. De distance en distance, de longues perches s’élevaient pour annoncer une citerne ; mais les seaux de cuir qu’elles supportaient, tordus et déchirés par le soleil, disaient en même temps que ces citernes étaient desséchées. Malheur à celui que sa mauvaise étoile égare au milieu de ces plaines désertes ! Si son outre n’est pas bien remplie, s’il hésite sur la route à suivre, son histoire ira bientôt grossir celles des voyageurs morts de soif dans ces solitudes, entre un ciel et une terre également impitoyables.

« Il est donc vrai, comme on le prétendait, dit le sénateur à don Estévan en essuyant la sueur qui coulait de son visage, que vous étiez déjà venu dans ce pays ?

— Parbleu ! reprit Arechiza en souriant, c’est pour y être déjà venu que j’ai éprouvé le désir d’y revenir encore. Mais en quelle circonstance y arrivé-je, quel est le but de mon retour ? voilà le secret que je vous dirai plus tard ; toutefois ce secret est de ceux qui donnent le vertige, si celui qui l’entend n’est un homme audacieux et au cœur fort. Serez-vous cet homme-là, seigneur sénateur ? » ajouta l’Espagnol en arrêtant sur les yeux de son compagnon de route un regard calme, empreint de la force et de l’audace qu’il semblait exiger des autres.

Le sénateur ne put réprimer un léger frisson.

Les deux cavaliers marchèrent quelques minutes. Le trouble du sénateur n’avait pas échappé à l’Espagnol, qui reprit néanmoins ainsi :

« En attendant que je puisse tout vous dire, êtes-vous décidé à suivre mes conseils, à relever votre fortune par quelque riche alliance que je vous ménagerai comme je vous l’ai promis ?