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les arbres ne manquent pas, dit sévèrement l’Espagnol, et vous savez comment je punis les traîtres. »

À cette allusion à un passé qui se rattachait sans doute à quelque souvenir mystérieux, la figure du bandit se couvrit d’un nuage livide.

« Oui, je me rappelle, dit-il, que ce n’est pas votre faute si je n’ai pas été accroché à un arbre. Peut-être serait-il plus prudent de ne pas me rappeler une ancienne injure, de vous souvenir que vous n’êtes plus en pays conquis, et que, comme vous le dites, nous sommes entourés de forêts, mais de forêts sombres… et surtout muettes. »

Il y avait dans cette réponse de Cuchillo un air si évident de menace, joint à son aspect et à ses antécédents sinistres, qu’il fallait une certaine fermeté de cœur pour ne pas regretter d’avoir évoqué un souvenir de la nature de celui-ci. Don Estévan n’eut qu’un froid sourire pour le bandit.

« Aussi ne chargerais-je cette fois personne de l’exécution d’un traître, dit-il en lançant à Cuchillo un regard qui fit baisser le sien. Quant à vos menaces, réservez-les pour les gens de votre espèce, et n’oubliez pas qu’il y aura toujours entre ma poitrine et votre poignard un espace infranchissable.

— Qui sait ? grommela Cuchillo en dissimulant toutefois la colère qui grondait en lui. Puis il reprit d’un ton radouci : Mais je ne suis pas un traître, seigneur don Estévan, et l’affaire que je veux vous proposer est franche et loyale.

— Voyons donc.

— Vous saurez, reprit Cuchillo, qu’il y a déjà quelques années j’ai embrassé la profession de gambusino ; j’ai donc parcouru beaucoup de pays entre les quatre points cardinaux, et j’ai vu, seigneur cavalier, ce que peut-être nul œil humain n’a vu en fait de gîte d’or.

— Vous avez vu et vous n’avez pas pris ! dit l’Espagnol d’un air railleur.