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Tragaduros, d’autant plus que nous avons déjà cinq heures de route dans les jambes. »

Deux des domestiques mirent pied à terre pour recevoir de leurs maîtres la bride de leurs chevaux, et les deux autres déchargèrent les mules. Ensuite ils étendirent, dans celles des cabanes du village qui paraissaient les plus propres, un lit pour le sénateur et un pour don Estévan.

Nous laisserons le sénateur, jeté tout habillé sur son matelas, dormir de ce profond sommeil qui est le partage des justes et des voyageurs, pour accompagner Arechiza dans la hutte qu’il avait choisie, à quelque distance de celle de Tragaduros.

Après être entré derrière don Estévan, sur son invitation, Cuchillo ferma soigneusement une claie de bambous qui servait de porte, comme s’il eût craint que le moindre bruit ne transpirât au dehors, et il attendit que l’Espagnol lui adressât la parole.

Celui-ci s’assit sur un lit de camp en fer qu’on venait de dresser ; Cuchillo prit place sur un crâne de bœuf qui se trouvait là pour servir d’escabeau, selon l’usage de ces pays, où le luxe des sièges en est à peu près resté à cette invention, pour les classes pauvres du moins.

« Je suppose, dit Arechiza en rompant le silence, que vous avez mille raisons de désirer que je ne vous connaisse que sous votre nom actuel de Cuchillo ; moi, par d’autres motifs que les vôtres, sans doute, je veux n’être ici que don Estévan Arechiza, et rien de plus. Eh bien ! seigneur Cuchillo, continua-t-il avec une certaine affectation moqueuse, voyons donc ce secret important qui doit faire votre fortune et la mienne ?

— Un moment d’attention, et vous le saurez, seigneur don Estévan de Arechiza, reprit Cuchillo à peu près du même ton.

— Je vous écoute ; mais surtout point d’arrière-pensée, pas de perfidie ; ici nous sommes dans un pays où