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Mais, en dépit de son impudence habituelle, le bandit s’arrêta en tressaillant, à mesure que de vagues souvenirs se recomposaient dans sa mémoire ; car ces deux hommes ne s’étaient plus trouvés en présence l’un de l’autre depuis de longues années.

« Eh ! si je ne me trompe, dit l’Espagnol d’un ton ironique, le seigneur Cuchillo et moi sommes de vieilles connaissances, quoique jadis il ne portât pas ce nom.

— Pas plus que Votre Seigneurie, qui s’appelait alors… »

Arechiza fronça le sourcil, et sa moustache noire se hérissa sur sa lèvre. Cuchillo n’acheva pas ; il avait compris qu’il devait taire ce qu’il pouvait savoir, et cette espèce de complicité lui rendit son assurance ordinaire.

« Un nom est à mes yeux comme un cheval de bataille, dit-il effrontément ; à mesure qu’on en a un de tué sous soi, on en change. »

Cuchillo, en effet, était de ces gens qui ont le malencontreux avantage d’attacher une prompte et fâcheuse célébrité aux noms qu’ils portent, et Cuchillo en changeait souvent.

« Seigneur sénateur, dit Arechiza en se tournant vers son compagnon de route, cet endroit ne vous semble-t-il pas favorable pour vous y arrêter et faire la sieste, pendant que la chaleur du jour va se passer ?

— Le seigneur Tragaduros y Despilfarro y trouvera l’ombre d’une cabane à son choix pour y faire sa sieste, » dit Cuchillo qui connaissait déjà le sénateur d’Arispe. Il savait qu’il s’était attaché au sort de don Estévan en désespoir de cause, et pour tenter une chance nouvelle de relever sa fortune, dévorée depuis longtemps.

En dépit du mauvais état de ses finances, le sénateur n’en avait pas moins dans le congrès de l’État de Sonora une influence réelle, que don Estévan avait déjà mise à profit.

« Je souscris de tout mon cœur à vos désirs, répondit