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sur lequel les cavaliers mexicains se plaisent à cadencer la marcha de leurs chevaux. Son manteau de cheval (manga), richement galonné d’or, pendait des deux côtés de l’arçon de la selle, et couvrait de ses plis un large pantalon garni dans toute la longueur des jambes de boutons de filigrane d’argent. Enfin sa selle, brodée comme les courroies de ses éperons, complétait un costume dont l’ensemble, aux yeux d’un Européen, rappelle les souvenirs d’un autre siècle.

Du reste, ce cavalier n’avait pas besoin du riche costume qu’il portait pour rehausser un grand air qui révélait l’habitude du commandement et la fréquentation du grand monde.

Son compagnon, plus jeune que lui, était vêtu avec beaucoup plus de prétention ; mais sa figure insignifiante et sa tournure, quoique non dépourvue d’une certaine élégance, étaient loin d’avoir l’apparence aristocratique du cavalier au mouchoir brodé.

Les trois domestiques qui suivaient, avec leurs traits noircis par le soleil, leur figure presque sauvage, leurs longues lances à banderoles écarlates et la trousse de lanières de cuir tressées (lazo) suspendue au troussequin de leur selle, donnaient à la cavalcade qui s’avançait un air d’étrangeté particulier aux mœurs américaines. Deux mules, chargées d’énormes valises renfermant les matelas nécessaires pour les haltes, et d’autres portant des cantines de voyage, suivaient les trois domestiques.

À l’aspect de Cuchillo et de Baraja, le premier des deux cavaliers s’arrêta, et toute la troupe en fit autant.

« C’est le seigneur don Estévan, dit Baraja à demi-voix… Voici l’homme en question, » reprit-il en présentant le bandit au cavalier au paño de sol.

Don Estévan, car c’était lui, lança sur Cuchillo un regard perçant qui sembla pénétrer jusqu’au fond de son âme, et laissa échapper un geste de surprise.

« J’ai l’honneur de baiser les mains de Votre Seigneurie, dit Cuchillo ; c’est, en effet, moi qui suis… »