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ter ses ordres, et, comme je vous l’ai dit, je ne fais que le précéder ici de quelques heures.

— Bien, reprit Cuchillo. Eh bien ! seigneur Baraja, si, comme je n’en doute pas, mon affaire se conclut, je serai, ainsi que vous, l’un des membres de cette expédition dont le bruit venu jusqu’à moi a été l’origine de la proposition que j’ai faite à celui qui en est le chef. Mais, continua le bandit, vous devez être étonné sans doute du singulier endroit que j’ai pris pour attendre le seigneur Arechiza ?

— Nullement, répondit Baraja ; j’ai pensé que vous aviez vos raisons pour aimer la solitude. Qui n’en a pas besoin parfois ? »

Le plus gracieux sourire exprima sur la physionomie de Cuchillo que son nouvel ami avait deviné juste.

« Précisément… le mauvais procédé d’un ami à mon égard, la malveillance tracassière de l’alcade d’Arispe m’ont fait rechercher cette tranquille solitude. Voilà pourquoi j’ai établi mon quartier général au milieu de ce village abandonné, où nul ne songe à moi.

— J’ai trop bonne opinion de Votre Seigneurie, dit Baraja en savourant un morceau de viande calcinée, pour ne pas être convaincu que les torts sont tout entiers du côté de l’alcade et surtout du côté de votre ami.

— Je vous remercie de votre bonne opinion, répondit Cuchillo en avalant à son tour, avec une indifférence parfaite, une galette crue d’un côté et carbonisée de l’autre. Vous allez en juger.

— J’écoute, dit Baraja en se laissant aller à une position horizontale ; après un bon repas, je n’aime rien tant qu’une bonne histoire. »

Puis le compagnon de Cuchillo sembla, dans une béatitude parfaite et le visage tourné vers le ciel, se complaire à en admirer l’azur éblouissant.

« L’histoire n’est ni longue ni intéressante, et ce qui m’est arrivé peut arriver à tout le monde. J’avais engagé avec un mien ami une partie de cartes. Mon ami