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souriante outre mesure, pour ne pas inspirer au premier aspect une vive répulsion mêlée de terreur.

Malgré l’apparence de vigueur de sa haute stature et l’expression formidable de ses traits, des extrémités presque fluettes, quelque chose de voilé dans son regard, révélaient la nature toujours incomplète du créole américain.

C’est un fait digne de remarque, qu’à l’Européen seul, éternel conquérant des trois autres mondes, Dieu a donné ce qu’il a refusé à l’Américain du midi, à l’Africain et à l’Asiatique, l’esprit d’investigation qui scrute, l’intelligence qui conçoit, le génie qui crée, la force qui exécute, une organisation complète en un mot, une âme d’acier dans un corps de fer.

Une courte carabine, déposée près du cavalier, achevait, avec le long couteau passé dans sa botte, d’en faire un dangereux compagnon à rencontrer dans les déserts.

Il était évident, à la nonchalance de son attitude, qu’il attendait quelqu’un ; mais, comme tout prend dans le désert de larges proportions, après avoir fait peut-être trois journées de marche pour gagner le lieu où il se trouvait, le bandit, car tout semblait en lui désigner un de ces hommes hors la loi, le bandit, disons-nous, ne semblait pas éprouver cette attente fiévreuse qui agite si souvent le premier arrivé au rendez-vous au milieu d’une cité populeuse. Dans le désert, celui qui a franchi cent lieues peut attendre cent heures ; dans les grandes villes, au contraire, où la vie se présente comme un torrent entre deux rives resserrées, une heure de marche ne comporte qu’un quart d’heure d’attente tranquille ; car la course y devient un voyage, le quart d’heure y devient un siècle.

Aussi, quand le bruit des pas d’un cheval arriva à son oreille à travers les profondeurs sonores de la forêt, l’inconnu se contenta de changer tranquillement de position, tandis que son cheval hennissait joyeusement en levant la tête. Il écouta. Les pas se ralentissaient comme si le cavalier hésitait ; enfin, au point d’intersection des deux rou-