Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la nuit, servaient alors à préparer le repas de l’unique habitant de ce village.

De petites galettes de farine de froment et quelques morceaux de viande séchée au soleil se tordaient sur des tisons ardents, sans que l’homme à qui ce chétif repas était destiné parût beaucoup s’inquiéter des progrès trop rapides de la cuisson. Non loin de lui, avec une frugalité comparable à celle de son maître, un cheval paissait l’herbe rare et flétrie qui croissait sur la lisière du bois et qui frémissait sous la brise du matin. Contre l’usage, ce cheval n’était retenu par aucune entrave.

Le costume du cavalier consistait en une veste sans boutons, qu’on passe par le cou comme une chemise, et un large pantalon, le tout en cuir tanné d’un rouge de brique. Ce pantalon, ouvert à partir du genou jusqu’aux talons, laissait voir les jambes entourées de peaux de chèvres tannées et estampées. Ces bottes informes étaient assujetties par des jarretières écarlates, dans l’une desquelles était passé un long couteau dans sa gaine, de façon qu’assis par terre ou à cheval, le manche en fût toujours à la portée de la main. Une ceinture de crêpe de Chine rouge, un large feutre, dont la forme était entourée d’un cordon ou toquilla de perles de Venise, composaient un pittoresque costume, dont les couleurs étaient en harmonie avec celles du zarape sur lequel le personnage était couché.

Ce costume indiquait un de ces hommes accoutumés à galoper au milieu des halliers épineux, des savanes d’Amérique, et qui, dans leurs expéditions, soit qu’elles aient pour but une battue ou toute autre cause, dorment indifféremment sous un toit ou à la belle étoile, dans la plaine ou dans les bois. Il y avait dans la physionomie de celui-ci un singulier mélange de férocité brutale et de bonhomie railleuse. Au total, son nez recourbé, ses sourcils épais, ses yeux noirs, brillant de temps à autre d’un feu sinistre, démentaient trop l’expression de sa bouche, parfois