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ses convives qu’il allait, dans trois jours, se mettre en route pour le préside de Tubac. Pendant ce même dîner, un messager fut introduit dans la salle du festin, et remit à don Estévan une lettre dont il attendait, dit-il, la réponse.

L’Espagnol pria ses hôtes de l’excuser et rompit le cachet de la lettre.

Comme tout prenait, dans les allures de l’étranger, un certain caractère de mystère, les convives se turent un instant pour examiner sa contenance et le jeu de sa physionomie ; mais la figure impassible de don Estévan, qui se voyait l’objet de l’attention générale, ne trahit aucune de ses pensées : il est vrai qu’il savait parfaitement dissimuler ses sensations, et peut-être eut-il besoin, ce jour-là, de tout son empire sur lui-même.

« C’est bien, dit-il avec calme au messager ; rapportez pour réponse à celui qui vous envoie que je serai exact au rendez-vous, sous trois jours d’ici. »

Et il le congédia en s’excusant de nouveau, près de ses hôtes, de son impolitesse forcée ; puis le dîner suspendu reprit son cours. Cependant l’Espagnol parut plus pensif que de coutume, et ses convives ne doutèrent pas, en se retirant, qu’il n’eût reçu quelque nouvelle d’un haut intérêt pour lui. Nous abandonnerons les habitants d’Arispe à leurs conjectures, pour précéder don Estévan au mystérieux rendez-vous qu’il venait de recevoir dans un endroit situé précisément sur la route du préside de Tubac.

Au sortir d’Arispe, en remontant vers le préside en question, on ne rencontre plus, de loin en loin, que de chétives habitations parfois réunies, plus souvent encore isolées. Ces habitations sont séparées l’une de l’autre par la distance que peut parcourir un cheval entre deux soleils. Il en résulte que ce sont autant de haltes pour les voyageurs qui se dirigent vers la frontière. Mais les voyageurs ne sont pas nombreux, et les habitants de ces cabanes passent une partie de leur existence dans une profonde solitude. Un champ de maïs qu’ils cultivent, quel-