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taille gigantesque. Il tenait dans ses bras un jeune enfant immobile et qu’on eût cru mort, si quelques légers frémissements de son corps n’eussent révélé chez lui un reste de vie.

« Que diable apportez-vous là, Bois-Rosé ? lui demanda l’officier.

— Avec votre permission, lieutenant, c’est un jeune enfant que j’ai trouvé à demi mort de faim et de froid dans un canot en dérive. Une femme, morte et baignée dans son sang, le tenait encore entre ses bras, et j’ai eu toutes les peines du monde à le retirer de l’embarcation où il était et que ces chiens d’Espagnols visaient à outrance, la prenant pour une des nôtres. Il y avait surtout un grand diable de miquelet (disons au lecteur que c’était Pepe le Dormeur), qui, pendant le transbordement, me canardait avec autant d’opiniâtreté que de maladresse. J’aurais pu, du reste, le faire taire pour toujours, si je n’en avais pas été empêché par les soins que je donnais à cette faible créature… Mais si jamais je le retrouve… suffit…

— Et que comptez-vous faire de cet enfant ? demanda l’officier ému de compassion.

— M’en charger, parbleu ? jusqu’au moment où la paix me permettra de revenir ici prendre les renseignements nécessaires sur son compte. »

Malheureusement les seuls renseignements qu’on put obtenir de cet enfant, qui paraissait avoir trois ans, furent qu’il s’appelait Fabian, et que la femme assassinée était sa mère.

Deux années se passèrent, pendant lesquelles le navire français ne put aborder en Espagne. La tendresse du matelot qui avait recueilli le jeune Fabian de Mediana ne se démentit pas un seul instant et ne fit que s’accroître. Cet homme, d’une taille colossale et d’une vigueur herculéenne, était Canadien et s’appelait Bois-Rosé, ainsi qu’on vient de le nommer.

C’était un singulier et touchant spectacle que celui des