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personne d’un homme endormi sous une anfractuosité de rocher ; c’était Pepe le Dormeur. Réveillé à l’improviste, interrogé s’il n’avait rien vu, et ne se sentant pas la poche vide pour la première fois depuis longtemps, Pepe, afin d’écarter le danger, s’avisa d’un moyen qui semblera d’abord extraordinaire avec un homme cupide comme l’alcade : il lui demanda un réal à emprunter pour acheter du pain. Que faire d’un pareil drôle ? Aussi l’alcade ne lui fit-il plus de questions et le laissa se réveiller à son aise. On dut donc renoncer à toute investigation jusqu’à nouvel ordre, car on en avait fait assez pour grossir les frais de justice au niveau des épargnes de la partie civile.

Cependant, quand, après cette matinée inouïe dans les fastes d’Elanchovi, le crépuscule eut succédé au jour, deux hommes erraient encore tristement sur la grève, mais en mettant un soin extrême à s’éviter. L’un était le pauvre Juan de Dios, qui, en donnant un soupir à ses économies près de se fondre dans le creuset absorbant de la justice, cherchait obstinément les traces de sa maîtresse, priait pour elle et son jeune maître, et demandait à Dieu de protéger leur vie. L’autre était le triste Cagatinta ; l’alcade, profitant de la confiance de l’escribano, qui lui avait remis son acte de serment avant de tenir la récompense promise, avait péremptoirement refusé ses culottes et p roposé à la place un assez vieux chapeau, que Gregorio avait refusé avec indignation.

Cagatinta pleurait donc sur ses rêves évanouis, sur sa folle confiance, sur l’immoralité des faux serments… non payés, et méditait sur l’opportunité d’accepter le vieux chapeau en remplacement de ses culottes, hélas ! si bien gagnées.