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donnez à son sort un homme désormais inutile à votre cause, et vous reviendrez venger ma mort. »

Mais Diaz restait immobile comme une statue équestre ; puis bientôt l’habile cavalier se rapprocha de don Estévan sans qu’on vît sa jambe ou sa main se faire sentir à son cheval. Quand son genou toucha celui de l’Espagnol, il reprit sa première immobilité. Là, sans que ses lèvres parussent remuer, et le regard tourné vers le chasseur canadien, il trouva moyen de murmurer aux oreilles de son chef :

« Affermissez-vous sur vos arçons… rassemblez votre cheval… et laissez-moi faire. »

L’ancien carabinier suivait pendant ce temps d’un œil plein de vigilance les divers mouvements de ses adversaires.

Don Estévan fit signe de la main comme pour demander un sursis.

« Oroche, Baraja, leur dit-il d’une voix assez haute pour que ses paroles arrivassent jusqu’à la plate forme du rocher, le camp a besoin de tous ses défenseurs ; rejoignez-le avec le noble et brave Diaz, qui sera désormais votre chef ; vous direz aux hommes que je commandais que telle est ma dernière volonté. »

Oroche et Baraja écoutaient dans une indécision apparente les injonctions de don Estévan ; mais, dans le fond de l’âme, les deux aventuriers réfléchissaient que, bien que ce fût un affreux crève-cœur de ne pouvoir plonger leurs mains avides dans les monceaux d’or étalés presque à leurs pieds, il valait cependant mieux se rendre à discrétion et conserver la vie avec l’espoir de revenir un jour ou l’autre au val d’Or. Ils étaient donc résolus à ne pas se faire tuer si c’était possible, et tous deux, sans s’être entendus, voulaient au moins prolonger le plus possible, par décorum, leur apparence de noble hésitation.

« Je parierais, dit Pepe, que ce drôle qui passe la