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preinte, nuls vestiges humains n’y paraissaient. Le vent sifflait, l’Océan grondait comme toujours, et parmi les voix de la nature nulle ne s’élevait pour révéler le coupable.

Seulement, à l’horizon, les voiles blanches d’un navire qui gagnait le large se dessinaient encore sur l’azur lointain de la mer.

Pendant que le vieux serviteur priait en silence et suivait d’un regard rêveur le navire qui fuyait, les assistants prêtaient tous, à l’exception de l’alcade et de l’escribano, une oreille attristée aux lugubres modulations du vent des falaises, qui semble, sur ses hauteurs, le jour comme la nuit, tour à tour pleurer, soupirer et mugir.

L’alcade et le greffier avaient, sans l’avouer, la même conviction que Juan de Dios. Tous deux croyaient à un crime ; mais, dans l’impossibilité de saisir le moindre corps de délit, de mettre la main sur quelque individu capable de payer les frais de la justice (c’est l’objet principal en Espagne), l’escribano et l’alcade se trouvaient satisfaits, l’un de la récompense tant désirée qu’il croyait tenir, l’autre des douze années de fermages qu’il était sûr de gagner.

« Ma foi, messieurs, dit l’alcade en se tournant vers les témoins, je ne m’explique pas par quelle fantaisie madame la comtesse de Mediana est sortie de chez elle par la fenêtre ; car le verrou de la porte de sortie, fermé en dedans, ne laisse pas de doute à ce sujet. C’est un caprice de femme, et la justice n’a pas besoin de l’expliquer.

— C’est peut-être pour ne pas donner de reçu au seigneur alcade, dit tout bas un des témoins à son voisin.

— Mais, à propos, dit Cohecho en s’adressant à Juan de Dios, comment avez-vous pu vous apercevoir de la disparition de la comtesse, puisqu’on ne pouvait pas entrer chez elle ?

— C’est bien simple, reprit le vieillard ; à l’heure où la femme de chambre a l’habitude de se présenter chez madame, elle a frappé, personne n’a répondu ; elle a frappé