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veau rassuré. En effet, don Estévan et ses trois compagnons d’un côté, le chasseur canadien et ses deux amis de l’autre, ayant des renseignements moins précis, étaient obligés de reconnaître les lieux, et se trouvaient encore engagés dans les collines hors de la portée de sa vue. Satisfait du silence qui régnait autour de lui, Cuchillo, un instant absorbé par le voisinage des trésors étalés à ses pieds, avait reporté machinalement ses regards vers la cascade.

La nappe d’eau qui semblait, en tombant derrière la pyramide, jeter sur son sommet au-dessus de l’abîme un pont d’argent en fusion, s’ouvrait parfois dans sa chute. Alors, à travers les vapeurs irisées que le vent dispersait, un bloc d’or, mis à nu par l’action séculaire des eaux, étincelait aux rayons du soleil. Le plus monstrueux des fruits qui se soient jamais balancés aux aisselles d’un cocotier ne dépassait pas son volume.

Continuellement lavé par la poussière humide de la cascade, ce bloc d’or apparaissait dans tout son éclat, et semblait à chaque instant prêt à s’échapper de la demi-enveloppe de silex qui le retenait ; et cependant, depuis des siècles peut-être, il menaçait d’engloutir avec lui dans l’abîme la valeur de la rançon d’un roi.

À l’aspect du bloc qu’il lui semblait pouvoir saisir en étendant le bras, un élan de joie insensée traversa le cœur de Cuchillo. Avidement penché sur l’abîme, les mains étendues et les yeux dilatés, sa poitrine se gonfla jusqu’à se rompre, et il eût succombé à l’émotion poignante qui l’oppressait, si un cri de douleur et d’allégresse à la fois ne se fût échappé de sa bouche.

C’était le cri qu’avaient entendu le Canadien et ses deux compagnons.

Bientôt cependant un spectacle auquel il était loin de s’attendre au milieu de cette solitude ne tarda pas à lui arracher un autre cri ; mais cette fois c’était un cri de rage. Le bandit venait d’apercevoir une créature hu-