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jusqu’aux moindres détails de cette lutte mortelle.

Toutefois le sentiment de terreur qu’éprouva Cuchillo ne fut que de courte durée.

Sous le ciel pur de cette portion de l’Amérique où nous avons introduit le lecteur, la superstition n’a pas établi son empire comme dans nos contrées brumeuses, où les brouillards du soir prêtent aux objets un aspect fantastique et portent naturellement à la rêverie.

De la rêverie est née cette sombre poésie fille du Nord, qui a peuplé de revenants et de fantômes nos pays, assez déshérités déjà par la nature, comme si les âmes de ceux qui toute leur vie ont été condamnés aux frimas ne devaient pas s’estimer trop heureuses d’en être délivrées pour revenir les endurer de nouveau.

Dans les solitudes américaines, le voyageur isolé craint plus les vivants que les morts, et Cuchillo avait trop à redouter les blancs ou les Indiens pour s’occuper longtemps d’Arellanos.

D’autres idées vinrent petit à petit au bandit et remplacèrent dans son âme celles qui l’avaient agitée : il recouvra, nous ne dirons pas du calme, car le voisinage du gîte d’or ne lui laissait pas sa liberté d’esprit ; mais, du moins, il cessa de penser à un crime qui se confondit avec tous ceux dont il s’était rendu coupable.

Le souvenir d’Arellanos était déjà bien loin quand les premières lueurs de l’aube surprirent Cuchillo au milieu de l’ivresse que la cupidité faisait monter à son cerveau.

Bien qu’il fût à peu près certain que personne n’avait pu le voir s’éloigner du camp et encore moins le suivre, il résolut de gravir la pyramide qui s’élevait devant lui, et du haut de cette éminence d’interroger au loin le désert.

Les deux sapins, dont la verdure sombre couronnait le tombeau du chef apache, lui parurent merveilleusement placés pour le dérober aux yeux des Indiens, s’il