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« Vous ne pouviez soupçonner, n’est-ce pas, Pepe, reprit Fabian toujours pensif, que tant d’or fût réuni dans un seul endroit ? je le conçois ; moi dont le premier métier a été celui de chercheur d’or, je n’aurais osé le rêver, même après ce qu’on m’avait dit. »

Pepe ne répondait pas davantage. Son œil égaré ne cessait d’errer avec avidité sur les blocs d’or que pour jeter à la dérobée un regard sinistre sur Fabian, qui semblait ne plus voir ceux qui l’entouraient, et sur Bois-Rosé, immobile dans son attitude favorite, le bras sur le canon de sa carabine, qui devant tous ces trésors ne regardait que le plus cher à ses yeux, le jeune homme que le ciel lui avait rendu.

L’Espagnol avait devant lui, d’un côté, son vieux compagnon de périls : dans cent rencontres diverses, tous deux avaient poussé ensemble leur cri de guerre, comme ces frères d’armes de l’ancienne chevalerie qui combattaient toujours sous la même bannière ; le froid, la faim, la soif, tout leur avait été commun ; leurs jours s’étaient écoulés sous le même soleil, leurs nuits sous le même dais d’étoiles.

De l’autre côté était l’enfant orphelin par sa faute, son remords de vingt ans, l’amour, la vie de son unique ami dans ce monde ; mais le démon de la cupidité qui lui mordait le cœur effaçait tous ces souvenirs du passé : ces deux hommes étaient de trop aujourd’hui à ses yeux.

Un frisson de terreur agita le corps de Pepe quand ces pensées traversèrent son âme. Une lutte acharnée s’établit au dedans de lui, lutte des instincts de la jeunesse contre les instincts plus nobles qu’avait développés le spectacle de la nature où l’homme se sent plus près de Dieu ; mais cette lutte si terrible fut courte ; le miquelet de jadis avait disparu tout à coup, et, quand Pepe put se rendre compte de ses odieuses pensées, la noble nature qu’il avait reconquise l’emporta : le vieil homme était à