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lence ; un départ volontaire, mais précipité, peut donner lieu à un semblable désordre dans un appartement.

Le lit de la comtesse encore intact prouvait qu’elle ne s’était pas couchée, et dénotait ainsi un projet arrêté à l’avance, d’attendre debout le moment du départ. Les meubles étaient à leur place accoutumée, les draperies des croisées et de l’alcôve n’étaient pas froissées ; nul vestige de lutte ne se voyait sur le carreau de la chambre, composé de pierres tendres que le moindre froissement extraordinaire aurait pu écorcher ou rayer.

L’odeur fétide d’une lampe qui s’éteint lentement faute d’huile régnait encore dans la chambre, malgré l’air qui y pénétrait ; il était évident qu’on l’avait laissé brûler jusqu’au matin : des malfaiteurs l’auraient éteinte pour se livrer sans crainte à leur funeste besogne ; enfin, mille petites choses de nature à tenter la cupidité étaient restées dans les tiroirs.

À tous ces indices trompeurs, le vieux Juan de Dios secouait la tête d’un air de doute. Il y avait dans tout cela quelque chose qui confondait sa raison et dépassait son intelligence, qui, du reste, n’avait jamais été de premier ordre ; mais son bon sens se révoltait contre la pensée que sa maîtresse avait pu fuir, et d’une manière si extraordinaire. À ses yeux un crime était évident ; mais comment l’expliquer ? l’assassin n’avait pas laissé de trace derrière lui.

Le vieux et respectable serviteur considérait d’un œil désolé cette chambre déserte, les vêtements de sa maîtresse épars sur le carreau, et le berceau foulé qui conservait encore la trace du jeune comte, et dans lequel il dormait, rose et souriant, la veille, sous la garde de sa mère.

Comme frappé d’une idée soudaine, Juan de Dios s’avança sur un balcon de fer élevé à peu de distance du sol. Ses yeux interrogèrent la grève qui s’étendait sous le balcon ; la vague la balayait sans cesse et y roulait avec un bruit confus les galets de la mer : nulle em-