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fracas dans un gouffre sans fond. En avant de ce rocher, une rangée de saules nains et de cotonniers indiquait ou un terrain d’alluvion ou le voisinage d’un cours d’eau.

Puis la plaine immense du delta formé par l’écartement des deux bras du Rio-Gila, qui, à l’est et à l’ouest, se frayait un double passage à travers la chaîne des Montagnes-Brumeuses, se déployait dans toute sa sombre majesté.

Ce delta n’avait guère plus d’une lieue du sommet à la base ; mais cette dernière avait une étendue presque triple.

Pour le voyageur venant de la fourche de la rivière, tels étaient, dans ce jour indécis qui succède à la nuit, les traits saillants du paysage qui s’offrait à sa vue.

Cependant la lueur bleuâtre du matin remplaçait déjà les ténèbres sur les dentelures des montagnes. Comme d’une ébauche confuse, leurs sommités émergeaient l’une après l’autre de la teinte sombre du crépuscule matinal.

Une clarté encore douteuse s’infiltrait petit à petit dans les gorges de collines étagées en amphithéâtre. La lumière se faisait graduellement. Sur la plate-forme du rocher deux pins, comme deux fantômes devenus visibles, étendaient leurs puissantes racines et penchaient sur l’abîme leur tronc incliné et leur noir feuillage.

À leur pied, le squelette d’un cheval maintenu debout par des liens cachés, laissait voir sur ses ossements blanchis les sauvages ornements dont il avait jadis été paré. Des fragments de selle couvraient encore une partie de ses flancs à jour.

Les lueurs crépusculaires qui allaient en augmentant, ne tardèrent pas à éclairer de plus sinistres emblèmes : sur des poteaux élevés de distance en distance, des chevelures humaines flottaient au vent du matin ; ces hideux trophées indiquaient la sépulture d’un guerrier barbare. En effet, un chef indien, jadis renommé par ses exploits, reposait sur le sommet de la pyramide.