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Ces paroles produisirent une profonde sensation dans l’auditoire, dont aucun de ceux qui le composaient ne croyait à ce funeste contre-temps ; mais personne n’osait témoigner son incrédulité.

« Heureusement, continua l’alcade, que le serment de personnes dignes de foi peut réparer ce malheur. »

Ici Cagatinta, comme l’eau longtemps comprimée qui trouve enfin une issue, s’élança le bras en avant et s’écria avec explosion :

« Je le jure.

— Il le jure, répéta l’alcade.

— Il le jure, répétèrent les assistants.

— Oui, mes amis, je le jure encore, je voudrais le jurer toujours, quoiqu’une chose embarrasse ma délicatesse : c’est de ne pas me rappeler si c’est dix ou quinze ans d’avance que l’alcade a payés à l’infortunée doña Luisa !

— Non, mon digne ami, interrompit don Ramon Cohecho avec une modération dont on devait lui savoir gré, puisqu’il taillait en plein drap, ce n’était que dix années de loyers que votre précieux témoignage m’empêche de perdre ; aussi pouvez-vous compter sur ma reconnaissance.

— Je crois bien, pensa l’escribano ; deux années d’arriéré et dix d’avance, cela fait bel et bien douze de gagnées. Décidément, j’ai sur les chausses sang de bœuf les droits les plus implacables ! »

Nous ne fatiguerons pas davantage le lecteur par le récit de ce qui se passa dans cette séance, où la justice se pratiqua comme elle se pratiquait bien longtemps avant Gil Blas, comme elle se pratiquera bien longtemps encore en Espagne, et nous le ferons assister à l’instruction faite par l’alcade et son acolyte sur les lieux mêmes, avec l’accompagnement de témoins voulu par la loi.

On commença par enfoncer la porte de la chambre à coucher, restée verrouillée en dedans. Des tiroirs vides, d’autres à moitié saccagés, gisaient sur le parquet. Rien de tout cela n’indiquait précisément des traces de vio-