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aucune perfidie, puisque le chef restait en otage. Cependant il résolut de le faire surveiller de plus près.

« Un chef ne doit pas rester seul au milieu de ses amis et je vais donner l’ordre à six de nos hommes de se tenir près de lui comme il convient. Ils écouteront le récit de ses batailles. »

Gomez quitta l’Antilope sans voir le dédain qui plissa les lèvres de l’Indien, et il donna l’ordre à six de ses camarades de s’asseoir autour du coureur, et de le poignarder à la moindre apparence de trahison. Le Mexicain commençait à s’habituer au commandement.

Un instant il pensa à réparer l’imprévoyance devenue un si redoutable auxiliaire pour les Indiens, en envoyant un détachement à la provision du bois ; mais c’eût été trop affaiblir sa troupe, et il rejeta bientôt cette idée.

Le camp demeura donc plongé dans l’obscurité la plus complète. Cette obscurité n’était pas seulement un danger pour les aventuriers eux-mêmes ; peut-être ceux dont l’absence se faisait si vivement sentir étaient-ils égarés, et la réverbération des foyers allait leur manquer pour les aider à retrouver leur route. Les pensées de l’homme se ressentent toujours des scènes dont il s’est environné, et les ténèbres qui régnaient partout, les vapeurs blanches qui montaient lentement du sein de la terre et voilaient les étoiles, contribuaient à assombrir les idées de tous les habitants du camp. Ils commençaient à douter que leur chef et ses trois compagnons dussent jamais revenir parmi eux. En pareil cas, de l’appréhension à la certitude il n’y a qu’une bien courte distance, et don Estévan et son escorte de route ne tardèrent pas à être regardés comme désormais perdus.

Les conversations à voix basse furent interrompues, chacun gardait pour soi ses inquiétudes, et dans le camp comme dans l’immense plaine un morne silence avait tout envahi.

Bientôt cependant de vagues rumeurs troublèrent ce