Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parler de mes petites affaires et de m’abandonner à la douleur que me cause la disparition de la comtesse et du jeune comte de Mediana. »

Ici l’alcade fit un signe à Cagatinta, dont toutes les facultés mises en jeu ne lui avaient pas révélé encore par quel service il pourrait gagner l’objet de son ambition ; puis il reprit :

« Vous n’ignorez pas, mes enfants, les doubles liens qui m’attachent à la famille de Mediana ; jugez donc de ma douleur à la connaissance de cet attentat, d’autant plus incompréhensible qu’on ne sait ni pourquoi ni par qui il a été commis. Hélas ! mes enfants, je perds une puissante protectrice, et le cœur du fidèle serviteur est transpercé, tandis que celui de l’homme d’affaires est non moins cruellement blessé. Oui, mes enfants, dans la sécurité trompeuse où hier encore j’étais plongé, je fus au château de Mediana à l’occasion de mes fermages.

— Pour solliciter un sursis, » allait s’écrier Cagatinta, parfaitement au courant des affaires de l’alcade.

Mais celui-ci ne lui donna pas le temps de commettre cette énorme indiscrétion, qui l’eût à jamais privé de la rémunération promise.

« Patience, mon digne Cagatinta, dit l’alcade en se tournant vers l’escribano ; contenez cette soif de justice qui vous consume… Oui, mes enfants, et par suite de cette sécurité que je déplore, je versai entre les mains de l’infortunée comtesse… Ici la voix de don Ramon chevrota… une somme équivalente à dix années de fermages payés à l’avance. »

À cette déclaration inattendue, Cagatinta bondit de son siège, comme s’il eût été piqué par un aspic, et son sang se figea dans ses veines, quand un trait de lumière lui montra l’étendue de la bévue dont il allait se rendre coupable.

« Jugez donc de ma douleur, mes enfants, c’était ce matin que la comtesse devait m’en donner le reçu. »