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mêmes dangers, voulait seul les courir. Voici quel était ce plan.

Une cause quelconque, un accident, une chasse trop prolongée retiendrait peut-être les chefs hors de leur camp bien plus longtemps qu’ils ne le pensaient eux-mêmes. On pouvait mettre en embuscade un parti d’Indiens pour les attaquer à leur retour. Si cette absence se prolongeait jusqu’à la nuit, les Apaches, conduits par le coureur, viendraient surprendre les blancs, découragés par l’éloignement de leur chef. Leur défaite était certaine ; l’Oiseau-Noir se proposait de renvoyer l’Antilope et de rester seul pour éloigner tout soupçon et endormir la vigilance des défenseurs du camp.

Le guerrier, il est vrai, dont la présence les aurait leurrés d’un espoir de paix que le carnage et la mort éteindraient subitement, faisait à coup sûr le sacrifice de sa vie ; mais qu’est-ce que la mort pour un chef indien, quand son sang peut être utile à sa nation ?

L’Antilope approuvait complètement ce plan, mais il voulait rester lui-même. Il importait peu que la tribu perdît un simple guerrier, si elle conservait un chef renommé à juste titre. Ce fut un combat de générosité qui dura longtemps.

« Le corps de l’Oiseau-Noir guérira, dit solennellement l’Antilope. Il aura bientôt au service de sa nation un corps vigoureux et une grande âme. Si le chef meurt, les hurlements de deuil des guerriers dureront plusieurs lunes : après la mort de l’Antilope, qui se souviendra qu’il aura vécu ?

« L’Oiseau-Noir refusait encore.

« Mon corps est de fer, reprit le coureur ; la gomme du figuier n’est pas plus élastique que le jarret de l’Antilope. Au moment du péril il franchira d’un bond les retranchements des blancs. Du haut de cette éminence il sautera jusqu’au milieu de ses guerriers. Que fera l’Oiseau-Noir avec son épaule fracassée ?