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haute taille, aux larges épaules. » L’Indien taisait le signalement de don Estévan. « Il sait bien que cette hutte de toile n’est pas la sienne, pas plus que son nom n’est un nom que l’écho de nos déserts a répété. Ce nom est celui d’un autre chef. Ce chef est mince comme mon frère ; mais sa stature est double de la sienne, son corps est souple comme le tronc d’un bois de fer.

— Quel est ce guerrier ? demanda Gomez pour gagner du temps et reprendre ses esprits troublés.

— Ce chef est celui qui, hier soir, ici, continua le coureur en montrant la place où l’Indien avait succombé sous la lance de Diaz, a tué le Chat-Pard. Son nom est Pedro Diaz ; nos enfants l’ont dit parfois en tremblant. Les deux guerriers dont je viens de parler ne sont-ils pas vos chefs, et la vérité n’est-elle pas sur mes lèvres ? »

Que pouvait faire le pauvre Gomez, écrasé par le poids de la réalité des portraits tracés par l’Indien ? Sous l’empire de la fascination qu’il subissait, combattu par la crainte de rompre une négociation pacifique, du moins en l’absence de don Estévan, il n’avait qu’à se résigner et à reconnaître que le perfide coureur disait vrai. C’est ce qu’il fit.

Il eût néanmoins rompu tout pourparler, s’il eût pu surprendre le regard flamboyant qu’échangèrent les deux sauvages.

L’Oiseau-Noir éteignit subitement sous ses paupières l’expression de joie féroce qu’il avait laissé voir à l’Antilope ; puis, relevant sur Gomez son œil sévère :

« Pourquoi donc, reprit-il, usurper un titre qui n’est pas le tien ? C’est avec le chef à la double carabine et le chef au corps de bois de fer que je veux discuter mes paroles de paix. Où sont-ils tous deux ?

— Tous deux se sont éloignés avec une partie des nôtres pour chasser les bisons et nourrir nos soldats, répondit Gomez avec assez de présence d’esprit ; mais il avait affaire à de trop forts adversaires.