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sait sa douleur hypocrite, tandis que le vieux Juan de Dios baissait tristement la tête en invoquant tout bas un juge plus redoutable, un groupe nombreux de femmes, de vieillards et d’enfants s’était formé à la porte de la maison de l’alcade et envahissait petit à petit le sanctuaire de la justice.

Don Ramon Cohecho s’avança vers Cagatinta, qui se frottait les mains sous son esclavina à l’idée de tout le papier timbré qu’on allait noircir, et lui dit :

« Attention, ami Gregorio, le moment est venu, et, si vous êtes habile, la culotte de sang de bœuf… »

Il n’en dit pas davantage ; mais Cagatinta comprit, car il pâlit de joie, et, sans perdre de vue le moindre signe de son patron, il se tint prêt à saisir au passage la première occasion qui se présenterait.

L’alcade s’assit de nouveau sur son fauteuil de cuir, et réclama le silence d’un geste ; puis, avec cette abondance inhérente à la langue espagnole, la plus pompeuse et la plus riche de toutes les langues parlées, il fit à son auditoire un assez long discours dont voici la substance :

« Mes enfants, dit-il, comme est venu l’affirmer ici le respectable don Juan de Dios Canelo, un grand crime a été commis cette nuit. La connaissance de cet attentat ne pouvait manquer d’arriver à l’oreille de la justice, car rien ne lui échappe ; mais je n’en remercie pas moins don Juan de Dios de sa communication officielle. Ce vénérable concierge aurait dû la rendre plus complète en révélant les noms des coupables.

— Mais, seigneur alcade, interrompit Juan de Dios, je ne le sais pas, quoique ma communication soit, comme vous le dites, officielle ; mais j’aiderai à les trouver, ces coupables.

— Vous l’entendez, mes enfants, le digne Canelo, dans une communication officielle, implore la justice pour le châtiment des coupables : la justice ne sera pas sourde à son appel. Qu’il me soit permis maintenant de vous