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Les premières lueurs crépusculaires devinrent bientôt plus distinctes. Des flots de brouillard roulaient l’un sur l’autre comme la poussière soulevée par un troupeau de buffles. Puis les rayons, obliques encore, du soleil donnèrent à ce voile grisâtre les feux rouges de l’opale.

Bientôt le voile de brume oscilla comme une immense draperie, dont chaque souffle de la brise ne tarda pas à emporter un lambeau grisâtre.

Quelques flocons de vapeur voltigeaient encore à peine au-dessus de la nappe azurée de la rivière, quand l’Oiseau-Noir poussa un cri terrible de désappointement et de rage.

L’îlot avait complètement disparu ; la place qu’il occupait le soir précédent au milieu de l’eau était unie comme un miroir ; pas un des roseaux qui le bordaient, pas une des racines verdoyantes qui l’entouraient ne s’élevait au-dessus de la surface de la rivière.

« La main du Mauvais-Esprit s’est étendue sur l’eau, dit le coureur indien. Il n’a pas voulu que les chiens blancs, qui sont ses enfants, trouvassent la mort dans les mains d’un chef renommé comme l’Oiseau-Noir. »

Mais l’Indien n’écoutait pas les compliments de condoléance étudiés du messager, qui s’applaudissait dans le fond de l’âme de la disparition des fugitifs. Le chef sauvage, cette fois, s’était dressé seul sur ses jambes, l’œil hagard, la figure pâlie sous ses tatouages et sa couche d’ocre ; sa main brandissait sa hache, tandis qu’il s’avançait en chancelant contre celui des guetteurs de nuit le plus à portée de son bras.

Mais le guerrier indien menacé ne fit pas un mouvement. Il resta la tête tendue, les bras à moitié soulevés, dans l’attitude de l’homme qui écoute, comme pour montrer que jusqu’à ce fatal moment même il n’avait cessé de veiller fidèlement.

Cependant la hache allait s’abattre sur sa tête quand le bras du messager arrêta celui du chef.