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poste, immobiles comme des statues de bronze florentin.

Le premier, interrogé sur les événements de la nuit, répondit :

« Le brouillard n’est pas plus silencieux que la rivière, les guerriers blancs qui ont échappé au feu n’auraient pu s’enfuir à la nage, à moins d’être muets et silencieux comme les poissons sous l’eau. »

Tous les autres répondirent dans le même sens.

« C’est bien, » dit l’Indien dont l’œil brilla d’une joie farouche.

Puis, s’adressant au messager et lui montrant les ligatures de son épaule :

« La vengeance, continua l’Oiseau-Noir, parle trop fort à mon oreille pour qu’elle entende une autre voix que la sienne. »

C’était une nouvelle confirmation de son refus que le chef donnait au messager. Celui-ci reconduisit silencieusement l’Oiseau-Noir près de son foyer.

Cependant, malgré ce second avis, le coureur ne se pressait pas de partir ; son œil semblait chercher à percer le nuage épais de brume suspendu sur la rivière.

Le vent plus vif qui précède le lever du soleil y ouvrait parfois de larges trouées. Il était facile de voir que, d’un moment à l’autre cette masse compacte de brouillard allait se désunir comme la glace dans une débâcle. Quelque attention qu’il apportât dans son examen, l’Indien n’avait découvert, à travers aucune de ces éclaircies passagères, l’îlot décrit par le chef.

Un soupçon que la vigilance des guetteurs avait pu être mise en défaut par quelques causes incompréhensibles traversa l’esprit du messager, car une joie qu’il dissimulait mal brillait dans son regard.

« J’ai dit que je ne me mettrais en route qu’au soleil levé. »

Ces paroles du coureur indien étaient la conséquence du rapide soupçon qu’il venait de concevoir.