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Mais deux heures d’une course rapide n’avaient produit aucun résultat. Grâce à une avance de temps égale, Cuchillo restait invisible à ses persécuteurs dans des plaines immenses où l’obscurité eût dérobé ses traces à l’œil même d’un Indien.

Plus d’une fois, don Estévan fut sur le point de renoncer à une poursuite inutile, et d’attribuer la disparition de Cuchillo à tout autre motif qu’à la trahison.

« Il est cependant hors de doute, disait Pedro Diaz, que le coquin a dû profiter de l’attaque des Indiens pour s’enfuir vers le val d’Or, et prélever sur les trésors qu’il nous a vendus une dîme suffisante peut-être entre nos mains pour payer la majorité dans le congrès d’Arispe ; c’est une déprédation qu’il est bon de prévenir.

— Ce n’est pas ce que je redoute le plus, répondit don Estévan en souriant ; si Cuchillo n’a pas exagéré les richesses du trésor qu’il m’a vendu, le sénat d’Arispe serait à peu près unique dans le monde, s’il ne nous restait assez d’or pour le corrompre plusieurs fois. Mais si près d’atteindre le but qui m’a fait traverser les déserts et quitter une position enviée de tous pour braver les dangers d’une expédition de la nature de la nôtre, je ne sais quelle crainte vague d’échouer au port m’agite tout à coup. Le désert est comme la mer, fertile en pirates de toute espèce, et l’âme de Cuchillo est féconde en trahisons ; il me semble que ce bandit me sera fatal. »

Et don Antonio de Mediana continua silencieusement sa route.

Il n’en était pas de même des deux cavaliers qui le suivaient. Il semblait à leurs yeux qu’une brume dorée s’élevait au-dessus du placer vers lequel ils se dirigeaient.

« Puissé-je, disait Baraja à son compagnon, ne porter toute ma vie qu’un manteau comme le vôtre, seigneur Oroche, si Cuchillo n’est pas le plus grand coquin que j’aie jamais rencontré ; et cependant je lui pardonne de bon cœur les perfidies dont il a manqué de nous rendre