Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pie pendant le jour, se réveille et reprend tout son empire sous le manteau de la nuit. Les buissons, les nopals épineux se dressaient devant Cuchillo comme des fantômes accusateurs, les bras étendus, pour s’opposer à sa marche ; une sueur froide humectait son front ; mais la cupidité, plus forte que la peur, l’aiguillonnait comme ses éperons tourmentaient les lianes de son cheval et le poussait aveuglément vers le val d’Or.

La réalité ne tarda pas à succéder à ces visions, et le bandit riait de ses terreurs.

« Les fantômes, disait-il, sont comme les alcades, qui ne s’adressent jamais à de pauvres diables comme moi ; mais que j’enlève seulement une ou deux arrobes[1] de cet or, et je ferai dire tant de messes pour le repos de l’âme d’Arellanos, qu’il s’applaudira d’avoir été tué par des mains si généreuses. »

Cuchillo poussa un éclat de rire et lança son cheval plus rapidement encore ; puis, après quelques minutes d’une course impétueuse, il s’arrêta de nouveau pour prêter l’oreille. Excepté le souffle bruyant qui s’échappait des naseaux de son cheval, nul bruit ne troublait le silence du désert. Le bandit abandonna un instant avec sécurité son front couvert de sueur à la brise rafraîchissante du matin.

« Je suis seul, bien seul, reprit-il, ces brutes que j’ai si bien guidées se battent là-bas pour que j’aie le loisir de dépouiller les sables d’une partie de cet or qu’ils voilent sans le cacher. Qui m’empêchera tout à l’heure, quand le jour va venir, d’en ramasser autant que j’en pourrai porter sans trahir mon secret ? Cette fois, ce ne sera plus comme avec Arellanos, il ne me faudra plus fuir devant les Indiens ; je leur ai livré leur proie pour les écarter de ma route. Puis je reviendrai de nouveau avec ceux de mes compagnons échappés aux

  1. L’arrobe pèse 12 kilogrammes et demi.