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coup hardi sans en avoir pesé les chances favorables. Il avait fait comme le chasseur qui, voulant surprendre les petits du lion, jette à celui-ci une proie pour le distraire et l’écarter de son antre. Ses compagnons étaient la proie qu’il avait jetée aux maîtres de ces déserts.

Ses battues précédentes n’avaient eu pour but, on l’a dit, que d’attirer vers le camp de don Estévan un parti d’Indiens dont il avait reconnu les traces. Il jouait un jeu dangereux, il est vrai, et l’on a vu comment il avait à peine pu regagner le corps de l’expédition, en ne précédant que de quelques moments les guerriers apaches acharnés à sa poursuite.

Il avait pensé que la lutte se prolongerait une partie de la nuit, et que, vainqueurs ou vaincus, les aventuriers n’oseraient, pendant tout le jour suivant, s’éloigner de leurs retranchements, dont la protection momentanée leur serait indispensable après le combat ; que dès lors il avait devant lui de longues heures pendant lesquelles il pourrait faire main basse sur une partie des trésors du val d’Or, et revenir mettre son butin sous l’égide de ses compagnons ; qu’au moment enfin où l’expédition entière se rendrait maîtresse du placer, il en aurait encore sa part en qualité de soldat et de guide. Les prétextes ne devaient pas lui manquer pour colorer cette nouvelle absence, et il aurait ainsi largement exploité la connaissance d’un secret déjà vendu pour une forte somme. Mais, comme on l’a vu, Cuchillo, dans ses calculs, avait oublié la défiance de don Antonio à son égard.

Pour conclure son marché avec lui, il avait été forcé de lui donner des renseignements si précis sur le gîte du val d’Or, que de l’endroit où l’expédition était parvenue, don Antonio ne pouvait se méprendre sur la route à suivre. Il avait transmis ces renseignements à Pedro Diaz seulement le soir où sa défiance avait été excitée par l’absence prolongée de Cuchillo. La prudence