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n’est pas probable que personne ait pu prendre l’avance sur nous ; je dois donc dire en toute franchise que mon avis s’écarte du vôtre, et que mon opinion est de gagner sans perte de temps un endroit quelconque de ces montagnes où nous puissions engager une dernière et inévitable lutte contre nos ennemis avec quelque espoir de succès.

— C’est cette lutte inégale que je veux éviter, reprit Fabian avec chaleur. Tant que j’ai pu espérer rejoindre, avant d’arriver au préside de Tubac, ceux que la Providence, par un hasard miraculeux, avait signalés à ma vengeance, et les attaquer trois contre cinq, je les ai poursuivis sans réflexion ; tant que j’ai pu croire que je m’étais trompé, et que cette expédition s’engageait comme toutes les précédentes dans ces mêmes déserts, sans autre but, quoi qu’on m’en eût dit, que celui de découvrir quelque placer inconnu, j’ai suivi sa marche pas à pas ; mais qu’est-il arrivé ? Après quatre jours pendant lesquels nous avons pris une direction différente, ne retrouvons-nous pas cette nuit même don Estévan et ses hommes près des Collines-Brumeuses ? Leur but est donc le même que le nôtre. Trois hommes ne peuvent lutter contre soixante ; alors, à Dieu ne plaise que dans l’intérêt de ma vengeance ou dans des vues de cupidité personnelle, je veuille sacrifier deux généreux amis dont la vie m’est plus précieuse que la mienne.

— Enfant ! dit le Canadien, qui ne voit pas que chacun est ici pour soi, et que cependant ces trois intérêts n’en font qu’un seul. Deux jours avant que, pour la seconde fois, Dieu vous eût poussé dans mes bras, ne poursuivions-nous pas déjà l’homme qui ruinait alors vos espérances comme il avait jadis tué votre mère et volé votre nom ? Depuis dix ans Pepe et moi ne faisons qu’un ; nos ennemis ont été les mêmes, les amis de l’un ont été les amis de l’autre, et vous êtes le fils de Pepe parce que vous êtes le mien ; Fabian, mon enfant, grâces