Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Il faudrait un miracle pour me donner vos avantages personnels ; mais vos chausses, c’est différent : deux vares de drap de Ségovie en feraient l’affaire.

— Patience ! patience ! seigneur escribano ; vous savez que, pour prix des services que vous voulez me rendre, je ne dis pas les services que vous m’avez rendus, je vous ai promis mes culottes couleur sang de bœuf, dès qu’elles seraient légèrement usées. Je m’en occupe ; occupez-vous de les gagner.

— Que faut-il faire pour y parvenir ? dit l’escribano d’un air désespéré. La partie n’est pas égale. Votre tâche est si facile en comparaison de la mienne !

— Eh, mon Dieu ! on ne sait pas, reprit l’alcade ; il peut se présenter telle circonstance qui, tout d’un coup, vous donne l’avantage sur moi.

— Oui, mais il peut aussi, d’ici là, arriver telle circonstance qui, tout d’un coup, ôte à vos chausses leur valeur.

— Allons, voyons, à la besogne, dit l’alcade pour couper court aux doléances de Grégorio, et faisons l’acte d’expropriation du canot d’une mauvaise paye, de ce Vicente Ferez, qui, sous prétexte qu’il a six enfants à nourrir, ne m’a pas remboursé au terme voulu les vingt piastres que je lui ai prêtées.

En disant ces mots, don Ramon prit une chaise à moitié dégarnie de paille pour s’y asseoir près de la table.

« Prenez celle-ci, reprit vivement l’escribano en lui en présentant une couverte d’un cuir que l’usage avait poli comme de l’acajou ; vous y serez plus mollement.

— Et mes chausses aussi, » reprit l’alcade avec un air narquois.

Cagatinta sortit de son écritoire en rouleau une feuille de papier timbré. Déjà ils se mettaient à l’ouvrage, quand des coups précipités retentirent à la porte, que les deux hommes de justice avaient refermée pour n’être pas interrompus.

« Qui diable peut frapper ainsi ? dit l’alcade.