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rent à l’embranchement des deux rivières qui formaient le delta où devait être situé le val d’Or.

Le jour allait paraître ; l’aube commençait à blanchir l’horizon vers l’orient. Une teinte grise succédait à l’obscurité. Heureusement le bras de rivière qu’il fallait traverser était peu profond. La masse des eaux de la rivière se déversait dans le bras opposé. Ce fut une circonstance favorable, car le gambusino blessé eût été la cause d’un long retard pour le lui faire franchir à la nage.

Bois-Rosé le prit sur ses épaules. Tous trois entrèrent dans l’eau qui leur montait à peine au genou, et ne tardèrent pas à prendre terre sur l’autre rive. La chaîne des Montagnes-Brumeuses n’était plus qu’à environ une lieue de la pointe du delta où ils étaient arrivés, et, après un court moment de halte, la marche fut reprise avec une nouvelle ardeur.

Bientôt le terrain changea d’aspect. Au sable fin des terrains d’alluvion, car pendant une partie de l’année le triangle formé par la jonction des deux rivières était inondé lors de la crue des eaux, succédaient des anfractuosités profondes, et des lits, alors desséchés, que les torrents se creusent pendant la saison des pluies en se précipitant des montagnes. Au lieu du long et mince ruban de saules et de cotonniers qui ombrageaient des rives désertes, des chênes verts s’élevaient de distance en distance et le paysage bouleversé était terminé par la chaîne de montagnes qu’on appelle les Collines-Brumeuses.

Là les voyageurs firent halte un moment. De près, l’aspect de ce paysage était étrange, imposant. Rarement les pieds de l’homme blanc avaient foulé ce désert encore revêtu de sa sauvage virginité. Marcos Arellanos et Cuchillo y avaient seuls pénétré.

Comme dans ces immenses basiliques remplies tout entières de la majesté de Dieu, un vague sentiment de respectueuse terreur faisait involontairement baisser la