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courant, flottait tout d’un coup vers le rivage. Il ne fallait pas s’y méprendre, le sort de l’îlot allait être celui du morceau de bois qui lui servait comme de précurseur.

L’île flottante, en effet, sembla demeurer un instant immobile ; mais, obéissant néanmoins à l’impulsion du premier courant, elle ne tarda pas à s’éloigner de nouveau de la rive. Le rideau de brouillard qui se condensait uniformément de droite et de gauche prouva aux deux chasseurs rassurés que le radeau avait repris une direction favorable.

Une heure environ s’écoula ainsi parmi de poignantes alternatives de crainte et d’espoir, puis les feux de bivouacs indiens se perdirent dans l’éloignement et dans le brouillard ; les fugitifs étaient à peu près à l’abri du danger. Cependant il fallait s’aider encore.

Rassurés par la distance gagnée, l’ancien matelot se mit à l’arrière de l’îlot, et, une branche d’arbre à la main, il ne tarda pas à pagayer vigoureusement.

Comme un cheval longtemps abandonné à ses caprices et qui sent enfin la main et l’éperon d’un habile cavalier, l’île flottante, en cessant de tournoyer en tous sens, suivit plus rapidement le courant. Maintenue par le Canadien à l’endroit où l’eau était plus profonde, elle ne tarda pas à avoir franchi une distance considérable. Désormais les trois amis purent se regarder comme plus en sûreté du moins, sinon sauvés tout à fait.

« Le jour ne va pas tarder à venir, dit Bois-Rosé, il faut maintenant aborder d’un côté ou de l’autre et gagner au large, car nous ferons deux fois plus de chemin à pied que sur ce radeau, qui marche plus lentement qu’une hourque hollandaise, ce qui n’est pas peu dire.

— Eh bien, accostez où vous voudrez, Bois-Rosé, répondit Pepe ; puis, de là, nous suivrons à pied le cours de l’eau pour cacher nos traces aux Indiens ; en portant,