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Un cri lugubre fit tressaillir les chasseurs, et ce cri fut répété sur les deux rives : c’étaient les signaux que les sentinelles se renvoyaient l’une à l’autre en imitant la voix des oiseaux de nuit. Puis, tout redevint silencieux.

Bois-Rosé poussa enfin un soupir de soulagement en montrant du doigt à Fabian le foyer qui brûlait sur la rive.

L’Indien venait de retourner à son poste, et, appuyé sur sa lance, il reprenait son attitude première.

C’était une fausse alarme ; mais l’îlot n’en continuait pas moins à se rapprocher de la rive.

« À ce train-là, dit Bois-Rosé, d’ici à dix minutes nous allons tomber dans le bivouac de ce diable d’Indien. Ah ! si nous pouvions pagayer un peu à l’aide de cette grande branche, nous serions bien vite remis en bonne route ; mais le bruit de l’eau trahirait notre fuite.

— C’est pourtant le parti qu’il va nous falloir prendre ; peut-être vaut-il mieux courir la chance de nous trahir que de nous livrer à nos ennemis. Mais avant, voyons un peu si ce courant dans lequel nous sommes engagés se dirige vers la rive ; alors, il ne faudra plus hésiter, et, quoiqu’une branche d’arbre soit plus bruyante dans l’eau qu’un aviron entouré de linge, vous ferez de votre mieux pour pagayer en silence. »

Comme Pepe achevait de donner cet avis, il cassa doucement un morceau de bois mort et le jeta dans la rivière. Penchés sur le bord, Pepe et Bois-Rosé interrogeaient la direction que le bois allait suivre. Il y avait dans cet endroit un remous violent causé par quelque trou profond dans le lit de la rivière.

Un instant le morceau de bois tournoya comme s’il allait s’engloutir, puis il prit brusquement une direction opposée à la rive. Les deux chasseurs poussèrent un soupir de soulagement, puis une exclamation de joie silencieuse, mais que remplaça bientôt un regard de consternation. La branche, repoussée par quelque sous-