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Les deux chasseurs ne tardèrent pas à voir le guerrier indien ficher en terre la lance sur laquelle il s’appuyait, pencher le corps en avant, et arrondir ses deux mains au-dessus de ses yeux pour en concentrer les regards perçants.

Un éclair d’angoisse traversa le cœur des fugitifs, qui, pendant un instant, ne respirèrent plus, à l’aspect de l’Indien.

Le féroce guerrier, le corps ployé en deux, comme une bête féroce aux aguets, la figure à moitié couverte des longues mèches de sa coiffure, était hideux et terrible à voir. Un homme d’un courage ordinaire ne l’eût pas contemplé sans frémir.

Mais les trois fugitifs eussent dédaigné cette effrayante apparition comme celle d’un enfant, si, dans ce moment critique, un enfant n’eût pas été aussi à redouter que l’Indien.

Au milieu de la brume épaisse, le foyer près duquel veillait le sauvage n’éclairait qu’un cercle rétréci.

Tout d’un coup l’Apache, après être resté quelques instants dans l’attitude de l’homme dont l’œil cherche à distinguer un objet lointain au milieu des ténèbres, fit deux ou trois pas dans la direction du fleuve et disparut.

Le vent du soir n’agitait plus que les chevelures humaines attachées, en guise de banderoles, au bois de la lance restée droite à la place qu’il occupait tout à l’heure.

Ce fut un moment d’anxiété plus vive, car la nuit dérobait maintenant les mouvements de l’Indien.

Les fugitifs retenaient jusqu’à leur haleine, et le radeau continuait à glisser silencieusement sur la nappe assombrie du fleuve.

« Le démon nous aurait-il aperçus ? murmura Pepe à l’oreille du Canadien.

— C’est à craindre, » reprit Bois-Rosé.