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méditations ; aux feux qui brillent encore de droite et de gauche, il est facile de voir combien nous avons fait peu de chemin depuis une demi-heure. »

En cet endroit, l’îlot flottant parut recevoir une impulsion plus rapide. En quelques secondes il eut décrit deux des courbes qu’il ne décrivait auparavant que dans un espace de temps bien plus considérable, et la cime des arbres lointains ne tarda pas à devenir moins confuse. Les deux chasseurs échangèrent un regard d’inquiétude.

Le radeau s’avançait toujours du côté de la rive. Un des feux qui tout à l’heure ne jetait qu’une pâle lueur au milieu du brouillard augmentait petit à petit de clarté aux yeux de Bois-Rosé frémissant.

Déjà on pouvait apercevoir une des vedettes indiennes debout et immobile sous son effrayant costume de combat.

Une longue crinière de bison couvrait sa tête, au-dessus de laquelle une touffe de plumes ondoyait comme le cimier d’un casque romain.

Le Canadien montra du doigt à Pepe le guerrier appuyé sur sa lance. Heureusement, la brume était trop opaque pour que l’Apache, que le feu seul rendait visible, pût encore apercevoir la masse sombre de l’îlot qui flottait doucement comme un oiseau marin sur la surface de la rivière.

Cependant, comme si l’instinct avertissait le sauvage que l’intrépidité et l’adresse de ses ennemis allaient mettre sa vigilance en défaut, il redressa sa tête penchée et secoua la crinière ondoyante dont elle était ornée.

« Aurait-il quelque soupçon ? dit le Canadien à Pepe.

— Ah ! si une carabine ne faisait pas plus de bruit qu’une flèche, avec quel empressement j’enverrais ce bison humain monter la garde dans l’autre monde ! » répondit l’Espagnol.