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une écritoire en liège hérissait ses trois plumes fortement collées dans leurs trous, au milieu de quelques papiers sales qui paraissaient placés là par ostentation et peut-être pour effrayer les visiteurs. À l’aspect de cet amas bizarre d’objets divers, il était difficile de ne pas se faire à peu près une idée juste du métier auquel se livrait l’alcade en dehors de son caractère public. En effet, il prêtait à la petite semaine, à un réal pour une piastre, à l’intérêt tout simple de vingt pourcent par mois ou deux cent quarante pour cent par an, et, comme sa clientèle ne se composait que de pêcheurs, c’était d’eux que venait la collection d’appareils nautiques qui encombraient la salle d’audience de l’alcade.

Cagatinta ne jeta qu’un regard distrait sur toute cette friperie, parmi laquelle ne se trouvait pas un seul pantalon, ce qui ne l’exposait à aucune tentation malhonnête ; car, il faut bien le dire, sa probité douteuse n’eût peut-être pas résisté à une épreuve si redoutable. L’escribano n’était pas de la pâte dont est pétri un honnête homme. La nature, qui procède toujours du simple au composé, n’avait eu le temps d’en faire encore qu’un fripon ordinaire ; il est vrai qu’il était alors dans la fleur de la jeunesse.

Don Ramon ne se fit pas attendre ; il montra bientôt à la porte de sa chambre à coucher sa figure joviale et candide. C’était un homme robuste et vigoureux, et l’on concevait facilement que d’une de ses culottes on pût tirer deux pantalons pour le maigre et chétif escribano.

« Vive Dieu ! seigneur alcade, dit celui-ci après avoir donné et reçu une foule de salutations matinales, quelles glorieuses culottes vous possédez là !

— Gregorio, mon ami, reprit l’alcade d’un air de bonne humeur, vous devenez fastidieux avec vos redites. Eh ! que diable ! n’y a-t-il donc que mes chausses à envier dans ma personne ? »

Cagatinta poussa un soupir et répondit de l’air d’un chien affamé qui convoite un os.