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continuelle il ne déviât de la ligne droite, et n’allât s’échouer sur l’un des bords. Les Indiens occupaient les deux rives.

Comme le marin qui, d’un regard plein d’angoisses, suit les mouvements de son navire désemparé par la tempête et contemple avec effroi les récifs où, poussé par la vague, il va peut-être bientôt s’engloutir, ainsi les trois chasseurs, en proie à la plus cruelle anxiété, observaient dans un morne silence la marche tortueuse et incertaine de leur îlot. Quand parfois la ceinture d’osiers et de roseaux qui l’entourait frémissait au souffle d’une brise légère venant d’une des rives, il semblait alors incliner vers la rive opposée en décrivant un large cercle ; quand parfois aussi, saisi par un des courants formés par l’inégalité du lit de la rivière, il devait obéir à son impulsion, sa marche alors était en ligne droite ; mais, dans aucun cas, les efforts de ceux qui le montaient ne pouvaient lui donner une direction.

Heureusement le brouillard était si intense que les arbres mêmes qui ombrageaient les berges de la rivière avaient cessé d’être visibles.

« Allons, courage, disait Pepe, tant que les arbres des rivages continueront d’être cachés à nos yeux, c’est signe que nous sommes dans la bonne voie. Ah ! si Dieu daigne nous favoriser encore, bien des hurlements retentiront sur ces bords si paisibles à présent, quand au point du jour les Indiens ne trouveront plus ni l’îlot ni ceux qu’il abritait.

— Oui, répondit le vieux chasseur, vous avez eu là une idée lumineuse, Pepe ; dans le trouble où j’étais, cette idée-là ne me serait pas venue à moi… une idée si simple !

— Ce sont toujours les dernières qui viennent à l’esprit ; mais savez-vous ce que cela prouve, Bois-Rosé ? ajouta l’ex-miquelet à l’oreille de son compagnon, c’est que dans les déserts la crainte de la mort est déjà une